Quand le concept "nature" est occidentalisé

Plusieurs auteurs, dont l’ethnologue Philippe Descola, ont expliqué que le concept de la Nature n’existait pas dans certaines populations (Jivaros par exemple). Ils en ont voulu pour preuve que les humains ne s’y positionnaient pas comme étant en face de forces hostiles. J’ai eu aussi des discussions épiques avec un de mes amis, guide saharien,  concernant l’existence ou pas du concept de nature chez les Touaregs. Je constate dans les deux cas, et dans d’autres, que l’observateur a recherché si dans la société existait le concept de « forces extérieurs hostiles à mettre toutes dans le même sac ». Et ne les trouvant pas en a conclu que l’idée de Nature était purement culturelle et occidentale.

Mais c’est leur méthode de travail qui est furieusement marquée du sceau de l’occidentalité. Ils ont recherché la Nature telle que le ressent la société industrielle, c’est-à-dire méchante, sournoise et négative, coupée de l’homme et antagoniste.

Le fait de ne pas penser que les puissances non humaines nous veulent du mal, le fait de ressentir une parenté ou même une sorte d’identité avec les êtres sauvages, n’empêchent pas d’avoir en plus, en un même temps, la vision d’un grand ensemble qui regroupe tout ce qui n’est pas les humains, et qui correspond à l’unité mondiale de l’idée de Nature.

François Terrasson, En finir avec la nature, pp. 58-59, 2002 © Éditions du Rocher