Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal d'un écolo
Journal d'un écolo
28 septembre 2012

Pierre Déom, un chouette écolo

Fondateur et unique rédacteur de La Hulotte, le plus naturel des magazines sur la nature, il parvient, à force de talent, d'humour et de connaissances, à tenir en haleine 180 000 abonnés. (archives)

 


Il a l'air tout à fait ordinaire, ce monsieur. Très très normal. Quarante-sept ans et une tête à habiter derrière un guichet de Sécu. Pourtant, à lire sa prose, on l'imaginerait bien barbiche au vent et pull en poil de bique tricoté à la main. Ou naturaliste vénérable et mariol, gloussant tout seul de ses bons mots en gribouillant des dessins rigolos. Pas du tout. Pierre Déom, l'homme-orchestre qui fabrique tout seul "le journal le plus lu dans les terriers", qui explique aux enfants comment construire des cabanes à hérisson, qui sait tout du balanin de la noisette et de l'épeire concombre, cet homme-là cache bien son jeu. 

On le débusque dans sa tanière ardennaise, assis entre les grimoires et les momies d'insectes, les piles chancelantes de documentation et les panneaux d'affichage où s'alignent, à touche-touche, des pages d'illustrations. Là vit l'auteur de La Hulotte, ce petit fascicule d'une soixantaine de pages aux parutions tellement épisodiques que ses 180 000 abonnés remercient le ciel quand il tombe enfin, tous les six mois ou presque, dans leur boîte aux lettres. Pourquoi tant de ferveur? Parce qu'on a rarement vu publication plus intelligente et plus drôle sur le thème de la nature. Quoi qu'en dise Déom, visiblement modeste, qui se doute à peine du fanatisme de ses lecteurs assidus. Dernièrement, une dame un peu émotive mais très fidèle a même fait retirer toutes ses illustrations d'un exemplaire consacré aux araignées: "Elle voulait le lire sans défaillir à toutes les pages." Dans chaque numéro, il raconte un animal, un insecte ou une plante. Un vrai feuilleton à rebondissements, avec des récits gondolants et savants qui donnent au plus vulgaire myriapode la stature d'un héros de saga. Car la vie du myriapode est romanesque, qu'on se le dise! Et, pour faire joli, tout plein de dessins maison à faire blêmir M. Kodak en personne. Chaque numéro lui prend six mois. Un travail de titan. Ainsi, depuis vingt-cinq ans, Pierre Déom vit pour, par et avec une chouette, plus toute jeune de surcroît. 

Leur histoire remonte à 1972: fraîchement diplômé de l'école normale, Pierre Déom enseigne dans la classe unique d'un petit village des Ardennes. Pierre, fils de la campagne, sait bien que les petits des champs se fichent comme d'une guigne des bestioles qui les entourent: "Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés..." Ecolo avant l'heure, il crée une feuille de chou pédagogique qu'il baptise La Hulotte, en hommage à la chouette qui vient vocaliser la nuit sous sa fenêtre. Un long ululement plaintif, ingrédient essentiel de tout film d'horreur. A la campagne, il est encore des gens pour "croire que le cri de la petite chouette colporte la mort". Déom en fait un personnage savant et sympathique, à l'image de son journal. 

Et La Hulotte prospère. Une réussite d'autant plus inattendue que l'oiseau de nuit s'envole très vite hors de ses Ardennes natales, dans toute la France. Pierre Déom, débordé, finit par abandonner l'enseignement pour s'y consacrer pleinement. Mais les débuts sont chaotiques. Le premier système d'impression ne tolère que le dessin à l'encre de Chine? Déom s'attelle patiemment à sa table et aiguise sa plume Sergent-Major. Le dessin réaliste n'est pas sa tasse de thé, mais il s'y colle quand même, puisqu'il le faut. Son truc, ce sont plutôt les petits personnages qui parasitent les marges, façon coccinelle de Gotlib... Il en met partout, prétendument pour amuser ses lecteurs. On le soupçonne un peu de se faire rire tout seul... 

Et peut-être Déom écrit-il pour lui-même, pour le gamin qui ne savait pas regarder la forêt, les rivières et les champs. Pour l'adolescent monté à Charleville-Mézières qui potassait l'histoire en vue de l'enseigner à quelques chérubins distraits. C'est en dévorant Raboliot, de Maurice Genevoix, qu'il ouvre enfin les yeux sur l' "univers bouleversant" des animaux, des plantes et des arbres. Bizarre, concède-t-il, de s'ouvrir à l'écologie en lisant une histoire de braconnier. Qu'importe: il en garde une étrange fascination pour le piégeage, exercice requérant la parfaite connaissance de l'animal que l'on veut capturer. A Charleville, Pierre comprend aussi qu'il ne pourra désormais plus jamais vivre en ville. Sous peine d'étouffer. 

Il s'investit dans les combats d'alors: contre le nucléaire, la pollution, la chasse à gogo, le remembrement... Les premiers numéros de La Hulotte reflètent ces batailles, ces espoirs. Zorro des belettes, l'intrépide Hulotte bravait les gazeurs de renards présumés enragés, partait en guerre contre des lois iniques condamnant à la mort des animaux dits "nuisibles": il sensibilise son public au sort tragique des petits mustélidés, odieusement traqués alors qu'ils aspirent seulement à grignoter les campagnols, et finit par obtenir leur rédemption. Mais, au fil du temps, Déom s'est assagi. Tant de batailles livrées (et gagnées) pour sauver blaireaux et consorts finissent par l'épuiser. Il se contente désormais d'éduquer ses lecteurs, "de leur montrer l'incroyable diversité de la nature". Même s'il rêve secrètement de repartir au front. Histoire de protéger les canards, tirés comme à la foire dans l'estuaire de la Somme... 

En attendant, il explique comment construire un nichoir avec trois bouts de planches, mitonner des petits plats aux étourneaux du jardin ou dépiauter les pelotes de réjection de la vieille chouette (encore une!) du grenier: par centaines, les enfants s'équipent d'une loupe, d'une pince à épiler, et dissèquent la boule de poils et d'os que régurgite la chouette après son goûter, généralement un petit rongeur qui fait peur aux dames. Tout le jeu consiste ensuite à reconnaître à qui appartient la vertèbre ou la quenotte. C'est instructif et rigolo, un peu morbide et vaguement dégoûtant: c'est la vie, et les enfants adorent. Enfin, pas tous. Ceux de Pierre, par exemple, en ont ras la casquette des petites bêtes. Depuis toujours, ils partagent leur père avec un drôle d'oiseau nocturne qui vole leurs vacances, leurs week-ends, leurs soirées. Qui phagocyte leur famille au point que leur mère elle-même s'est fait enrôler dans l'administration du petit journal. "C'est vrai, concède-t-il, mais je ne m'imagine pas faire autre chose." Et puis les enfants râlent toujours, qu'on soit pompiste ou PDG...

 

Par Festraëts Marion, publié le 10/04/1997

 

Bio express


1949: naissance à Pouru-aux-Bois (Ardennes).
1968: diplômé de l'école normale de Charleville-Mézières.
1972: en janvier, premier numéro de La Hulotte; il quitte l'enseignement quelques mois plus tard.
1989: La Hulotte reçoit le prix de la vulgarisation scientifique de la Fondation de France.

Source: http://www.lexpress.fr/informations/pierre-deom-un-chouette-ecolo_621721.html

Autre article sur Pierre Déom:

http://www.lepoint.fr/ces-gens-la/defense-de-la-nature-trophees-de-plume-a-pierre-deom-de-plomb-a-jean-pierre-pernaut-14-02-2012-1431304_264.php

Site de la hulotte: http://www.lahulotte.fr/

Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Publicité