Entretien avec Christian Godin sur La Haine de la nature (2012)
Christian Godin : La question comporte plusieurs couches de sens.
Merci pour cet entretien qui donne à méditer...
AUTOBIOGRAPHIE DE CHRISTIAN GODIN :
En terminale, j'ai lu Platon et, pendant les vacances de Pâques, la Critique de la raison pure. J'étais fier de pouvoir expliquer à mon meilleur ami d'alors, F. L., qui avait un vrai génie des mathématiques, ce que signifiait « transcendantal ».
C'est à cette époque aussi que j'ai commencé à écrire un journal, plus extime qu'intime d'ailleurs. Je remplissais aussi des dizaines des cahiers de notes, sur les sujets les plus variés (mon tropisme encyclopédique). Mais il suffisait qu'un sujet figurât au programme des études pour que son intérêt disparût à mes yeux.
Après mon double échec au concours d'entrée à l'école normale supérieure, je me suis retrouvé à la faculté, c'est-à-dire nulle part. J'allais à la Sorbonne, mais aucun cours ne me plaisait vraiment. Les professeurs me décevaient tous.
Je n'avais donc pas de maître, et si j'ai découvert et lu avec passion Hegel et Nietzsche (deux philosophes on ne peut plus éloignés l'un de l'autre), il ne me serait jamais venu l'esprit de me déclarer hégélien ou nietzschéen.
J’allais payer assez cher ce mixte de désinvolture et d’orgueil. L'absence, parfois confortable, mais souvent pénible, de ce qu'on appelle communément, et non sans vulgarité, une carrière. Voilà le prix que j'ai dû payer pour ma liberté. Dois-je préciser que je ne le regrette pas ?
Je passais les jours où je n'avais pas cours à travailler sur une grande idée : l'idée de totalité. Je lisais tout ce qui pouvait me tomber sous la main, et dont je pensais que cela pouvait avoir un rapport avec le sujet. Pas seulement des ouvrages de philosophie, mais aussi des histoires de l’art, des histoires des sciences etc.
Ce n'est que progressivement que j'ai pensé à faire de ce travail une thèse, c'est-à-dire à transformer une activité, peut-être une névrose personnelle, en signe social reconnu comme tel par les autres.
Preuve supplémentaire de mon irresponsabilité professionnelle : j'ai passé cinq années entières à écrire un roman où je versai une bonne partie de mes expériences, de mes idées et de mes lectures. Près de 3 000 pages, évidemment impubliables, que ma mère tapa à la machine avec une conscience exemplaire. C'était l'époque, au début des années 1980, où le traitement de texte n'existait pas encore.
Après coup (j'ai toujours eu l'esprit de l'escalier), je me suis rendu compte que cette activité « littéraire » a correspondu à la période de temps où sont nés mes trois enfants. Peut-être voulais-je démentir Nietzsche qui disait, pour lui-même, en latin : « Aut libri, aut liberi », « Ou bien des livres, ou bien des enfants ».
Je me suis dit aussi après coup que ces pages m’ont appris à écrire.
Pendant une bonne dizaine d'années, je n'ai connu pratiquement, dans ma vie sociale, que des échecs. Mes demandes de mutation n'aboutissaient pas, les manuscrits que j'envoyais aux éditeurs, même des articles d'une dizaine de pages, étaient systématiquement refusés, et, pour couronner le tout, le professeur (la professeure) qui avait d'abord accepté d'être mon directeur de thèse a fini par me renvoyer comme un malpropre.
Pour me consoler, je me disais que, parmi les auteurs non publiés en France, je devais être l'un des plus prolifiques. L'humour est la revanche des humiliés.
Le monde intellectuel ne fait pas exception. Presque tous ceux qui en font partie jugent à partir du jugement des autres, et non par eux-mêmes.
Après bien des efforts couronnés d'échec, j'ai fini par obtenir un poste à l'université de Clermont-Ferrand et les premiers ouvrages publiés ouvrirent la porte à ceux qui leur succédaient. Bientôt, les offres et les demandes changèrent de camp.
Les dix dernières années de mon existence furent à la fois éclairées par des succès extérieurs et assombries par des deuils intimes. Mon temps est partagé entre mes cours à la faculté, les conférences où je suis invité et mon travail personnel. Chaque jour, je réserve au moins une heure à la lecture des journaux car c'est elle qui nous met en contact avec le réel, qui est la matière à penser.
Bien heureux, lorsque je peux me libérer de ces tâches et me promener à loisir dans les monts d'Auvergne, qui composent l'un des plus beaux paysages du monde.
J’espère vivre assez longtemps pour voir les pyramides mayas et les temples khmers, lire les grands classiques que je ne connais pas, et mener à bien mes travaux philosophiques commencés. l'objet d'un déni spécifique.
Source: http://agorasoulacenergie.over-blog.com/